Ne crie pas sur moi

Article : Ne crie pas sur moi
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27 août 2024

Ne crie pas sur moi

Femme Crie
Image par Tumisu de Pixabay
« Ne crie pas sur moi ». Ces mots sont un maelström de coloris mal assortis qui ravagent mes pensées, alors que la personne en face de moi élève le ton. Non point « ne me crie pas dessus», mais ne crie pas sur moi. Ça tourne encore et encore dans ma tête, jusqu’à ce que je ne puisse plus m’entendre penser. Quand il s’agit du mental, même les éraflures les plus insignifiantes laissent des séquelles redoutablement acérées. Ceci est un épisode que j’ai réellement vécu. J’agonisais au moment où les faits se produisaient. Néanmoins, je prenais des notes mentales dans le but d’en parler.

Elle crie parce que j’ai pensé mais je n’ai pas réfléchi*

Jeu d'échecs, réflexion
Jeu d’échecs symbolisant la réflexion – Image par Steve Buissinne de Pixabay

Dans le but de faire valoir son point de vue, elle crie. Avant tout, il s’agit de spécifier que je navigue dans un brouillard mental épais. Ou plutôt non. Permettez que j’apporte un léger rectificatif. En effet, dire cela, relève d’un abus qui me donne à moi-même, l’impression de me trouver des excuses pour ce qui suit. Pour être tout à fait juste, il faut tenir compte du fait que depuis peu, je commence à émerger tout doucement de ma léthargie mentale.

C’est la raison pour laquelle, je dirais plutôt que je suis dans un état de flottement mental. Je ne sais pas comment le décrire autrement. Je roule sur ma batterie de secours, là où il y a quelque temps encore, je roulais sur la batterie de secours, de la batterie de secours, de ma batterie de secours. Tout ça pour dire qu’il y a une nette amélioration à prendre en compte. Mais, je suis toujours un être pas encore totalement enraciné dans le réel. Evanescent plutôt qu’inexistant. Je vois sans regarder. Je pense sans réfléchir. J’agis parce que eh bien, il faut que cela soit fait.

Infime inattention

Une fraction de seconde d’inattention, ou plutôt de non-attention, me conduit à ce moment. Insignifiant à l’échelle des centaines d’autres vies empêtrées dans leurs propres souffrances, qui se bousculent à la périphérie de ma perception. Gigantesque à l’échelle de ma vie, dans cette période trouble que je traverse.

Paysage troublé – Image par Pexels de Pixabay

Elle élève la voix : « Je t’avais dit ce qu’il fallait faire ! Rends-toi ici, et puis là-bas. C’est pourtant simple. Prends tel papier et reviens vers moi, avant de débourser ! Tu as fait n’importe quoi ! C’est seulement à ce niveau que je peux t’aider ! ». Et, elle avait raison. Ce qu’elle m’a demandé de faire était d’une simplicité enfantine.

Elle crie, je bredouille

Femme qui crie
Image par Engin Akyurt de Pixabay

Et pourtant, me voici entrain de bafouiller. Afin que vous compreniez de quoi il en retourne, je vous emmène là où tout a commencé. Un être cher vient de se faire percuter de plein fouet par un bolide. Rouler à tombeau ouvert a pris tout son sens. Comme si on embraie de plus en plus vite, de crainte de rater le passage de la faucheuse. J’ai retrouvé cette personne qui est un des pivots de mon existence, le visage en sang dans une ambulance. Ses lunettes étaient réduites en fine poussière sur l’asphalte. Son regard était flou, et il était incapable de bouger ses auriculaire, annulaire & majeur de la main droite. Sa diction était lente, précautionneuse, maladroite.

Assise dans l’ambulance, j’effleurais avec un certain détachement, l’idée que pour la première fois de ma vie, je me retrouve à bord de cet engin qui pour moi est synonyme de : « Quelque chose ne va pas. Et en même temps, tout peut s’empirer le temps pour moi de cligner des paupières ». Je regarde mon frère sans parvenir à croiser son regard. Au fur et à mesure de notre avancée, des micro-nœuds se forment partout dans mon corps. Mon cœur bat à un rythme effréné. Ma respiration est superficielle. Si bien que, lorsque je me retrouve en face de cette personne et qu’elle élève la voix, je me sens comme une enfant prise en faute. Mes lèvres laissent échapper des paroles confuses et inaudibles. Je suis incapable de me défendre, de lui expliquer.

Hôpital : endroit que j’exècre entre tous

Image par chandan bagh de Pixabay

Je me suis retrouvée catapultée au Centre Hospitalier Universitaire Sylvanus Olympio. Cet endroit que j’abhorre en tous. Cet hôpital où j’ai passé de longues heures assise sur un banc inconfortable, en ayant une vue plongeante sur la misère humaine. J’attendais de consulter mon endocrinologue, en accueillant les douces énergies cumulées que ma sœur et mon frère m’envoyaient, et en consolidant mes défenses mentales, afin d’encaisser l’impuissance habilement dissimulée et la compassion de mon médecin.

À l’hôpital, il a fallu faire vite. Aussi vite que le système et le laxisme du personnel le permet. Aussi vite que mes jambes lourdes et mon corps pataud me le permettaient. Prendre des bons. Passer par la caisse. Faire parvenir les échantillons de sang dans des laboratoires à différents endroits. Guère évident vu que nous sommes un samedi. A ce titre, la grande majorité du personnel soignant s’est octroyé le droit de déserter son poste. Certaines réalités sont propres à Lomé.

Elle, c’est une connaissance. Une personne très serviable qui œuvre dans le social. Elle devait m’aider. Bien des fois au cours des derniers mois, elle l’a fait. Avec cœur, je le souligne d’un trait bien gras. Aujourd’hui, je suis juste un peu dans le cirage. Un peu sous le choc aussi – je l’avoue – de devoir affronter une crasse de plus.

J’ai failli à être omniprésente : les conséquences

Crie silencieux
Image par A3DigitalStudio de Pixabay

Pendant une nano-tierce j’étais… ailleurs. Un ailleurs où le désir que ça aille vite, le désir de ne plus voir souffrir mon frère, ou du moins que quelque chose soit entrepris dans ce sens, a primé sur tout le reste. L’envie farouche de ne plus le voir allongé sur le sol dans cet endroit qui n’a d’hôpital que le nom, a joué le jeu de mon état mental déjà à la limite du vacillant.

Toutes les autres considérations ont été écartées. Y compris la conscience profonde, que je me devais d’être dix fois plus présente, cent fois plus lucide que je ne l’ai été depuis que je suis née. Cent fois aujourd’hui, contre une fois avant que je ne tombe malade. Alors, j’ai fauté.

Stupide, intelligence
Le mot Stupide formé par un entrelac du mot intelligent : Image par Gordon Johnson de Pixabay

Ma lucidité qui commençait à peine à être retrouvée a été mouchée dans l’urgence. Je m’en suis rendue compte seulement après l’avoir fait. J’ai été à la caisse avant de passer par l’assistance sociale, qui m’aurait garanti, il faut le dire, une remise assez conséquente. Ne crie pas sur moi ! Ne me fais pas me sentir ridicule. Stupide. Idiote. Lente d’esprit. Parce que je ne suis ni les uns ni les autres. Je suis moi. Redoutablement intelligente, mais un peu larguée.

Une bavure sur une toile de maître

Toutefois, en cet instant précis, je suis telle une peinture faite par un maître peintre, dont la main aurait ripé sur la touche finale. Une légère bavure qu’il a gardé, considérant que cela en fait un chef-d’œuvre. Le tranchant de ma capacité de réflexion est juste émoussé. Alors, ne crie pas sur moi. Cette micro seconde d’inattention m’a coûtée à moi, mais pas à toi.

Peinture
Image par Aida KHubaeva de Pixabay

Oui, tu veux aider. Oui, j’ai commis une bourde. Mais, je n’ai pas en ma possession un remonteur de temps, afin de défaire ce qui a été fait. Je ne peux tisser une nouvelle trame à l’histoire. Alors s’il te plaît, ne crie pas sur moi.

J’étais pleine de bonnes intentions qui m’ont conduites là. À toi qui crie sur moi. Le chemin de l’enfer est réellement pavé de bonnes intentions.

J’ai très mal vécu cet épisode de quelques secondes. Je ne me suis pas effondrée. Je ne me suis pas rouler en boule pour hurler à la lune. Mais en réalité, j’ai accusé le coup. C’est la raison pour laquelle, je viens à nous tous, porteuse de ce message : Ne crions pas pour faire valoir notre point de vue. S’il vous plait. En tout cas, faisons au mieux. Les répercussions de notre manque d’empathie sont réelles. Ceci est aussi valable pour moi. Nous ne savons pas ce par quoi les autres passent.

Prenez soin de votre mental,

Délivrance

* J’estime que la pensée est libre. Je pense sans fournir aucun effort. Mais la réflexion est consciente et demande un certain niveau d’exercice mental.

Enfant triste – Image par Sibeal Artworks de Pixabay
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