Le plaisir de marcher

Article : Le plaisir de marcher
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22 juin 2021

Le plaisir de marcher

J’adore marcher. Si je remonte d’une dizaine d’années dans le temps, ce devait être ma deuxième activité préférée après la lecture.
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Silhouette femme en train de marcher : Image par OpenClipart-Vectors de Pixabay

C’était un moment propice à la rêverie et à l’introspection, à la découverte et à la création. Je sortais le soir vers 18h et je marchais. Parfois sans itinéraire précis. Souvent sans but. J’aimais énormément emprunter des routes que je ne connaissais pas. M’aventurer dans les coins qui m’étaient inconnus. Je marchais. J’endormais ma soif d’aventures en rêvassant.

Réinventer le monde

Je prenais plaisir à inventer la vie de ceux que je croisais. Je me plaisais à deviner le passé de ce couple dont la femme a la main négligemment posée dans le creux du coude de l’homme. J’aimais me figurer qu’ils sont des amants fougueux et un couple heureux. Ou des personnes qui ont quitté leur lointain pays en proie à la guerre, pour vivre leur rêve d’ailleurs sous le chaud soleil de mon chez-moi. Jusqu’à ce que je surprenne parfois un bout de conversation qui me fasse comprendre que ce sont juste des frères qui profitent d’un moment de complicité. Ma bulle implosais alors dans un léger « pop ». Et je me retrouvais toute penaude.

Automne symbolisant la rêverie : Image par Karolina Sikora de Pixabay

J’adorais essayer de décrypter les liens qui unissent cet homme à son voisin de table. Déduire leur relation de leur langage corporel. Je façonnais le monde à l’envie. Je créais un monde neuf. Un monde vibrant où j’étais seule à décider.

Totalement tournée vers mon moi intérieur

Il y avait aussi les jours où je ne voyais rien ni personne. Je me laissais bercer par le rythme de mes pas, aveugle à tout ce qui m’entourais. Insensible au monde réel. Totalement tournée vers mon moi intérieur. Passant au peigne fin mes envies, mes besoins, mes désirs. Je les sortais les uns après les autres des tiroirs étiquetés dans lesquels je les avais rangés. Je les admirais, je les cajolais, je les astiquais et je les remettais à leur place.

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Solitaire : Image par Free-Photos de Pixabay

Certains jours je les pleurais doucement quand mon esprit surchauffé m’indiquait que mes rêves étaient destinés à n’être que ce qu’ils sont, des rêves. Dans ces moments-là, je n’étais pas aux commandes. Je ne prenais aucune décision consciente. Je ne faisais que marcher, me laissant porter par le rythme hypnotique que mon esprit en mode pilote imprime, et que mes pieds suivent.

J’aimais adapter mes foulées à mon humeur. J’allais vite quand je me sentais attirée comme jamais par cet ailleurs qui semblait indéfiniment inaccessible. Chaque pas m’éloignait de la monotonie de mon quotidien et de la détresse sourde qui glaçait mes os.

Solitude, sourire & plaisir

D’autres fois, quand j’étais tournée vers le réel, j’aimais prendre mon temps. Aller lentement, observer les façades mille fois vues. Me gorger du simple plaisir de voir vivre les autres. J’aimais plus que tout flâner à la nuit tombante. Quand les ténèbres descendent de leur marchepied et commencent à fouler la terre avec légèreté et grâce de leurs pas éthérés.

Je continuais à marcher jusqu’à ce qu’elles aient totalement établies leur domination éphémère sur le monde. J’aimais marcher à la lueur des lampadaires, couvrir de longues distances en rêvassant sous la lueur dorée de ces sentinelles omniprésentes. J’étais souvent seule. Soliloquant et souriant à la pensée que les passants perçoivent le grain de folie qui semble perpétuellement tapi dans mon esprit.

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Marcher à la lueur des lampadaires : Image par kirillslov de Pixabay

Laisser ma main être enserrée

Mais parfois, je prenais plaisir à avoir de la compagnie. A laisser une main forte ou douce enserrer la mienne. A mêler mon rire à un autre. A laisser d’autres mots entrelacer les miens. A laisser d’autres pieds décider de la cadence de mes pas. A laisser un autre souffle apposer une broderie délicate sur le mien quand le vent frais se lève pour chasser la chaleur de la journée.

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Marcher en bonne compagnie : Image par Michael Drummond de Pixabay

Je pense immanquablement à cette compagnie en particulier. On s’évadait souvent dans nos rêveries personnelles alors que nos doigts s’effleuraient sans toujours se trouver. Je revis les splendides moments d’un silence complice et apaisant. Je pétillais des bulles de son rire qui marquait ponctuellement nos pas. Marcher prenait alors une signification plus nuancée. C’était aussi le partage d’une chose qui nous procurait un plaisir intense à tous les deux. Des moments de volupté qui ont laissé leurs empreintes sur le sable du temps.

J’aimais tellement marcher. J’aime toujours autant marcher. Mais un jour, tout ça a volé en éclats tranchants.

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