Avis de recherche : où est passée Lucrezia ?

Article : Avis de recherche : où est passée Lucrezia ?
Crédit: Canva
16 janvier 2022

Avis de recherche : où est passée Lucrezia ?

Il y a quelques mois de cela, je me suis achetée un nouveau numéro de téléphone. Je ne savais pas que par cet acte anodin, je ferais entrer dans ma vie Lucrezia. Lucrezia voyez-vous, a semble-t-il disparu. Aujourd’hui, je lance un avis de recherche pour la retrouver. Je vous raconte tout.
Affiche Wanted vierge
Recherchée : Image par Prawny de Pixabay

Tout a commencé très banalement. Vers la fin de l’année passée ou peut-être un peu plus loin, j’ai poussé la porte d’une succursale de l’opérateur mobile Togocel. Pour en savoir plus sur cette illustre entité, référez-vous à Lomé -Togo et à ses deux seuls opérateurs mobiles. N’est-ce pas un tantinet déprimant ? Moi je trouve. Bref, en ouvrant cette porte, je n’avais qu’une mission : me trouver un second numéro. Je me suis acquittée en vitesse de mon office et j’ai fichu le camp. C’est là que tout a commencé.

Les coups de fil

Quelques semaines après, je reçois un coup de fil vers 21h. A l’autre bout du fil une voix masculine. « Bonsoir Lucré. Ça va ? Ça fait un bail. » Je me dis que le pov missié s’est trompé de numéro. Après tout, je le saurais si je me prénomme Lucré non ? Donc je lui réponds fort poliment, qu’il se pourrait fort bien, qu’il parle fort malheureusement à la mauvaise personne. Il insiste. Il dévale à toute vitesse la pente de « Je suis un gros lourdaud ». Je pense que nous avons déjà tous eu affaire à des zozos du genre, qui ont l’air de penser qu’on a cambriolé une maison au cours d’un épisode de somnambulisme. Et qu’après nous être réveillés, nous avons juste complètement disjoncté, nous appropriant dans la foulée un numéro qui n’est pas le nôtre. Vous voyez le genre. J’ai donc raccroché.

Quelques jours après, c’était au tour d’une voix féminine. Cette fois, on voulait parler non plus à Lucré, mais à Lucrezia. Tout au long des mois qui ont suivi, le même scénario s’est reproduit plus de fois que je ne peux m’en souvenir. Des hommes, des femmes, voire même des non-binaires ont appelé. Tous voulaient avoir le privilège de parler à Lucrezia. Certains m’invectivaient. D’autres me traitaient de noms d’oiseaux pas très sympathiques. Naturellement, je ne me privais pas de raccrocher au nez de cette engeance particulière. D’autres encore pensaient que je leur faisais une farce. Pardon, que Lucrezia leur faisait une farce.

Une de ces voix dépourvues d’existence réelle à mes yeux, a même mentionné le nom de la grande sœur de Lucrezia, pour me faire retrouver la mémoire au cas où ma vie serait à mon insu tirée de La Mémoire dans la peau. « N’es-tu pas la petite sœur d’une telle ? (Je n’ai pas retenu le nom) ». Je riais toute seule à la pensée que les amis de Lucrezia, ne me reconnaissaient pas la légitimité de me servir de ce numéro. Comme si quelque part, je n’étais rien d’autre qu’une vulgaire usurpatrice.

Mais entre le premier coup de fil et le 1200ème, je ne m’étais toujours pas transformée en Lucrezia. Aux dernières nouvelles, j’étais toujours moi, Délivrance de mon état. Evidemment j’ai compris assez vite, qu’avant de se glisser malicieusement dans mon téléphone, ce numéro avait été celui sur lequel on joignait Lucrezia. J’en ai eu la confirmation par une amie. Elle avait commencé à se servir de Truecaller, une application qui permet entre autres d’identifier un appelant et de bloquer les indésirables indésirés. Et là, associer à mon numéro, le nom Lucrezia. Évident, vu que je ne me sers pas de l’appli, comme c’était visiblement le cas de ma prédécesseure. Le bon numéro mais le mauvais nom. Me servant d’un autre numéro, j’ai moi-même recherché le 91……, et là j’ai découvert avec fascination la mystérieuse disparue. J’ai songé à lâcher l’affaire, mais finalement j’ai laissé ma légendaire curiosité avoir le dernier mot.

Après les appels, il y a eu les messages sur WhatsApp. Je me réveillais certains matins pour découvrir qu’un « on » indéfini, m’avait ajoutée à des groupes de discussions aux noms étranges et aux buts difficilement déterminables. Je me contentais d’appuyer sur le rouge « Quitter le groupe ». Ça m’énervait, mais ça m’intriguait encore plus. Certaines personnes m’envoyaient des messages, et refusaient d’accepter l’évidence que je ne suis pas celle dont ils semblaient tous rechercher activement l’attention. Je répondais et je les bloquais quand ils insistaient. Une personne m’a même accusée de jouer à la « lady », ignorant que j’en suis une, moi qui étais à l’autre bout du fil à la place de la tant désirée. Bon j’avoue, elle ne m’a pas traitée de lady mais de quelque chose de moins beau. Elle a dit olé « djra » (confère le bas de page de mon texte sur le droit des femmes pour avoir la signification de ce mot en dialecte Mina 🙂 )

Bref, c’est ainsi que Lucrezia est entrée dans ma vie. Ce qui m’a frappée après coup à propos de ces appels, c’est le fait que c’étaient toujours des appels nocturnes. Ça a encore plus excité ma curiosité, et je me suis mise à songer à des scénarios quand je ne dormais pas la nuit.

Lucrezia, je te crée de toutes pièces avec les bribes d’informations que j’ai recueillies sur toi !

Je me suis mise à penser à cette Lucrezia. Je ne l’ai définitivement pas fait consciemment. Mais je me suis rendue compte que quelque part dans un coin de ma tête, j’ai accordé une certaine attention à ce que j’appelle l’énigme Lucrezia. Il y avait un tiroir étiquetté « Lucrezia » dans ma tête, que j’ouvrais sur mon temps libre. Dans ce tiroir se trouve un jeu de quête en haute définition. Je suivais les petits bouts de pain laissés par les divers appelants, pour essayer d’atteindre la personne mystère cachée derrière le nom.

Quel genre de personne es-tu Lucré ? Je ne m’avance pas beaucoup en disant qu’elle devrait être le genre boute-en-train qui connait pas mal de gens. De beaucoup des coups de fil et des messages textes que j’ai reçus, j’ai déduit qu’elle est le genre de personne qui parle aux gens avec facilité. Je dirais qu’elle n’est pas une renfermée ou une timide. Du moins elle le cache bien si elle l’est. Le ton qu’ils emploient me laisse penser, que ce ne sont pas juste de vagues connaissances qui appellent le 36 du mois d’avril de chaque année bissextile. Je dirais que beaucoup de ces personnes entretiennent une relation amicale avec elle.

J’estime aussi qu’elle est jeune. Je ne lui donne pas plus de 24 ans et pas moins de 18. Je ne pense pas me tromper. La plupart des personnes qui sont à sa recherche sont jeunes. Les voix le sont et les messages aussi. Le ton l’est et le choix des mots employés le confirme à mon sens. Certains mots et expressions argotiques ne cadrent pas avec l’hypothèse que Lucrezia soit plus proche de la trentaine que de la vingtaine. Pour défendre ma supposition, j’appelle à la barre l’agitation et l’impatience que j’ai devinées, dans chacun des mots de la plupart d’entre eux. Evidemment, je pose sur eux un regard biaisé par ma propre expérience. Je me découvre plus calme avec les années qui défilent, et la grande majorité de mes connaissances est dans le même cas. Mais je ne pense pas me tromper, même si je me laisse une marge d’erreurs.

Imagination, que mon imagination s’emballe. Et ainsi fut-il !

Je m’imagine aussi qu’elle n’est pas très grande de taille. Ici, c’est mon esprit fantasque qui est entièrement aux commandes. Je me figure qu’elle fait autour de 1m62. En même temps, ce n’est pas loin de la moyenne de taille des femmes Togolaises d’après ce que j’ai observé. Vous me direz : « Qui te dit qu’elle est Togolaise » ? Elle pourrait tout aussi bien être une Rwandaise née à Abidjan de parents diplomates, ayant fait le primaire à Nairobi, le secondaire à Kuala Lumpur et ayant atterri sur les rives togolaises il y a deux ans, pour intégrer l’Ecole Nationale des Auxiliaires Médicaux de Lomé (ENAM-L). Mais il se trouve qu’elle parle forcément Mina, vu que 75% des appelants le parlent en pensant s’adresser à elle. Donc si elle est la Rwandaise que j’ai décrit, elle a dû apprendre le Mina via l’application « Apprendre le Mina » qui n’existe que dans mon esprit. N’oubliez pas, j’imagine. Tous les délires sont permis (Quoique l’idée de cette application n’est pas si délirante que ça !).

Certains esprits irritants doués dans l’art de la contradiction, me diront qu’il existe des humains détenteurs de la faculté d’apprendre les langues dans des délais ridiculement records. En deux ans, ils auront ainsi eu 100 fois la possibilité d’apprendre les différents dialectes du Togo. Je sais, je sais. Mais ici nous sommes dans mon esprit. Alors laissez-moi définir les contours de l’architecture. Ma pensée vagabonde s’arrête donc sur la Togolaise pas très grande de taille. Je pense qu’elle est pétulante. Tant de personnes ne chercheraient pas à entrer en contact avec une personne grognon, gronchonne, renfrognée et casse-pied.

Je m’imagine qu’elle a souvent de longues mèches colorées sur la tête. Très longues, les mèches. Elles lui arrivent au bas du dos. Je me la représente avec un piercing dans la narine gauche. Je me plais à m’imaginer qu’elle a une préférence pour les perles, en ce qui concerne les boucles d’oreilles. J’aimerais la rencontrer un jour, pour savoir dans quelle mesure je me suis trompée. Ou peut-être découvrirai-je avec ravissement, qu’elle est littéralement mes délires fait chair. Comme si mes pensées ont trouvé le moyen de se refléter dans un miroir, et ensuite de s’en extirper pour venir se pavaner sur terre (petite pause rêverie dans un rêve) ! Mais plus que tout, j’aimerais savoir ce qui lui est arrivé.

A la recherche de Lucrezia – via canva

Lucrezia, où es-tu ?

Changer de numéro peut arriver à tout le monde. Mais de là à ne pas communiquer le nouveau numéro à un si grand nombre de personnes ? Qu’est-ce qui a bien pu faire qu’elle les ait tous juste blacklister du jour au lendemain ? As-tu voyagé Lucrezia ? Partie pour un lointain pays et désireuse de rompre définitivement avec le passé ? As-tu été témoin d’une chose pas très jolie, et intégré le programme de protection des témoins ? (Pourquoi pas après tout ? Il est vrai que je suis grandement dubitative sur l’existence d’un programme du genre au Togo. Mais dans le doute, je n’écarte pas cette option). As-tu juste décidé du jour au lendemain que tu as assez vu toutes ces personnes qui faisaient partie de ta vie ? Ou as-tu fait quelque chose de pas très réglo et tu as donc préféré disparaitre de la circulation ?

Où que tu te trouves, si jamais tu tombes sur cet avis de recherche, contacte-moi sur ton ancien numéro. J’aimerais beaucoup te parler.

Pourquoi je lance un avis de recherche

Il y a un peu plus de deux semaines, mon téléphone a sonné et la femme à l’autre bout du fil la cherchait. Encore et toujours Lucrezia. Mais il y avait quelque chose de particulier dans le timbre de sa voix. Elle m’a donnée l’impression d’être nettement plus âgée que la majorité de ceux qui cherchent habituellement à lui parler. Sa voix était calme, posée, et trahissait de la fatigue. Elle était aussi très polie. Et j’ai apprécié ce point en particulier. C’est peut-être pourquoi je me suis surprise à lui expliquer que je ne connais pas Lucrezia. Que beaucoup de personnes appellent pour lui parler. Que j’ai juste acheté le numéro sans savoir qu’il avait déjà été utilisé. Et que je ne peux fâcheusement pas l’aider. Elle m’a écoutée sans m’interrompre, a dit « OK », s’est excusée et a raccroché. Cette femme m’a touchée. Alors, sans y avoir pensé avec lucidité, je me suis retrouvée à écrire dans mon bloc-notes dans le dossier intitulé « idées de billets » : Où est passée Lucrezia.

Si vous connaissez une personne portant ce nom et étant dans la bonne tranche d’âge, dites-lui que je la recherche. Il se pourrait que ce soit la bonne personne. Dites-lui de me contacter. Dites-lui que des gens cherchent à la joindre. Dites-lui surtout qu’une femme à la voix triste s’inquiète peut-être pour elle.

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Commentaires

Wamo
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Ewoé kpé

Délivrance
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😌😆 Yo looo